donderdag 25 oktober 2012

Marguerite Yourcenar - Les Mémoires d'Hadrien




Les médicaments n'agissent plus; l'enflure des jambes augmente; je sommeille assis plutôt que couché. L'un des avantages de la mort sera d'être de nouveau étendu sur un lit. C'est à moi maintenant de consoler Antonin. Je lui rappelle que la mort me semble depuis longtemps la solution la plus élégante de mon propre problème; comme toujours, mes voeux enfin se réalisent, mais de façon plus lente et plus indirecte qu'on n'avait cru. Je me félicite que le mal m'ait laissé ma lucidité jusqu'au bout; je me réjouis de n'avoir pas à faire l'épreuve du grand âge, de n'être pas destiné à connaître ce durcissement, cette rigidité, cette sécheresse, cette atroce absence de désirs.

Si mes calculs sont justes, ma mère est morte à peu près à l'âge où je suis arrivé aujourd'hui; ma vie a déjà été de moitié plus longue que celle de mon père, mort à quarante ans. Tout est prêt: l'aigle chargé de porter aux dieux l'âme de l'empereur est tenu en réserve pour la cérémonie funèbre. Mon mausolée, sur le faîte duquel on plante en ce moment les cyprès destinés à former en plein ciel une pyramide noire, sera terminé à peu près à temps pour le transfert des cendres encore chaudes. J'ai prié Antonin qu'il y fasse ensuite transporter Sabine; j'ai négligé de lui faire décerner à sa mort les honneurs divins, qui somme toute lui sont dus; il ne serait pas mauvais que cet oubli fût réparé. Et je voudrais que les restes de Lucius Aelius César soient placés à mes côtés.

Ils m'ont emmené à Baïes; par ses chaleurs de juillet, le trajet a été pénible, mais je respire mieux au bord de la mer. La vague fait sur le rivage son murmure de soie froissée et de caresse; je jouis encore des longs soirs roses. [...] Le beau visage de Céler est comme toujours étrangement calme; il s'applique à me soigner sans rien laisser voir de ce qui pourrait ajouter à l'inquiétude ou à la fatigue d'un malade. Mais Diotime sanglote, la tête enfouie dans les coussins. J'ai assuré son avenir.; il n'aime pas l'Italie; il pourra réaliser son rêve qui est de retourner à Gadara et d'y ouvrir avec un ami une école d'éloquence; il n'a rien à perdre à ma mort. Et pourtant, la mince épaule s'agite convulsivement sous les plis de la tunique; je sens sous mes doigts des pleurs délicieux. Hadrien jusqu'au bout aura été humainement aimé.

Petite âme, âme tendre et flottante, compagne de mon corps, qui fut ton hôte, tu vas descendre dans ces lieux pâles, durs et nus, où tu devras renoncer aux jeux d'autrefois. Un instant encore, regardons ensemble les rives familières, les objets que sans doute nous ne reverrons plus...Tâchons d'entrer dans la mort les yeux ouverts.





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